Interview réalisée en 2021

Sergueï Olégovitch Jirnov aurait pu être un personnage du maître des romans d’espionnage John le Carré. Il n’en est rien puisque sa vie d’espion au KGB a bien été réelle.

Élève brillant, Sergueï Jirnov intègre en 1984, à l’âge de 23 ans, l’institut Andropov appelé également institut du drapeau rouge ou école de la forêt. Cet institut a une particularité : c’est là que sont formés et diplômés tous les officiers du KGB destinés à l’espionnage extérieur. Sergueï Jirnov intègre cet institut au côté de Vladimir Platov, plus connu sous le nom de Vladimir Poutine.

Les conditions de l’admission du jeune Sergueï à l’institut Andropov sont un peu particulières. « J’ai intégré l’institut à cause d’un mot et ce mot était anticonstitutionnellement. Il y avait un Jeu sur Radio France international à ondes courtes qui consistait à deviner un mot. Ayant trouvé la réponse un soir de décembre 1980, j’ai adressé depuis une ville fermée aux étrangers, Zélénograd, un télégramme à RFI, télégramme qui a été intercepté par le KGB. Une enquête a été immédiatement diligentée afin de savoir si j’étais un dissident ou bien un espion. À l’époque, cette affaire avait été tellement prise au sérieux par le KGB qu’elle est directement remontée sur le bureau de Youri Andropov qui était le Président du KGB à l’époque.

« Après avoir été interrogé dans les règles de l’art par un colonel du KGB qui m’accusait d’avoir trahi « la mère patrie » et après que j’ai pu lui apporter des explications suffisamment convaincantes, il m’a dit que le KGB était à la recherche de profil comme le mien. Moi qui pensais être exclu de mon université et jeté en prison, je me retrouvais aux portes du KGB et j’ai donc accepté de suivre le cursus d’un candidat aux « illégaux » (clandestins). » À sa sortie de l’université, le KGB lui propose d’intégrer l’Institut Andropov.

Le contexte de la guerre froide et la propagande en URSS étaient tels que cela était un honneur et une chance de pouvoir intégrer « l’école de la forêt » avec ses cours de tennis et sa piscine. Sergueï Jirnov se voyait servir son pays en « luttant contre l’impérialisme », mais surtout pour pouvoir voyager de par le monde.

« Entre 1967 et 1982, Youri Andropov a été président de KGB et il a tout mis en œuvre pour en redorer le blason du KGB qui avait été très abîmé par les années Staline. À la mort de Staline en 1953, Nikita Khrouchtchev en qualité de Premier secrétaire du Comité central du Parti communiste de l’Union soviétique a tout fait pour écraser le KGB. C’est sous l’ère de Léonid Brejnev que le KGB commença à regagner ces lettres de noblesse avec Andropov qui organisa de véritables actions de relations publiques en « sponsorisant » des livres, des films ou bien des documentaires mettant en scène des officiers de carrière et les agents (sources) du KGB. Côté Occidental, vous aviez James Bond et nous avions nos équivalents de notre côté. Embarqué par cette ferveur patriotique, Vladimir Poutine à l’âge de 16 ans a été frapper à la porte du KGB à Leningrad pour pouvoir intégrer leurs rangs. Cette démarche d’une candidature spontanée a été mal perçue par le KGB, car c’était lui qui venait vous chercher et non le contraire. Personnellement, je n’aspirais pas spécialement à intégrer le KGB, mais en tant que petit leader de la jeunesse communiste et du fait de mes études au MGUIMO (équivalent de Science-Po Paris ou de l’ENA), j’étais le parfait candidat pour intégrer le KGB ou le GRU (renseignement militaire). Dans les faits, je cochais toutes les cases. En intégrant le KGB, j’ai vu également une opportunité de pouvoir voyager. »

« Ma formation à l’institut a duré trois ans. Vous faites toutes vos études sous pseudonyme et sous légende en guise d’entraînement. Nous étions bien traités. À titre d’exemple, je gagnais en 1re année deux fois plus que mes parents qui étaient en fin de carrière. »

Sergueï Jirnov a aimé sa vie d’officier de carrière du KGB. Comme il le dit, sans pour autant rentrer dans les détails, il a eu la chance de travailler dans une direction très spéciale. « J’ai eu la chance de pouvoir faire ce que je voulais en matière d’espionnage, car Mikhaïl Gorbatchev souhaitait mettre en œuvre de nouvelles approches en la matière. Et puis, j’ai également eu la chance de travailler directement sous les ordres du directeur du service des « illégaux ». Le Général Youri Drozdov est un véritable mythe dans l’espionnage soviétique. J’ai eu énormément de chance de pouvoir travailler à ces côtés. »

Dans les faits, Sergueï Jirnov a eu plusieurs vies puisqu’il a été journaliste, scénariste, professeur associé en école de commerce, producteur, consultant, etc.

En 1999, il attaque le Service des renseignements extérieurs (SVR) de Russie qui a remplacé le service de l’espionnage du KGB, car il n’a pas reçu son diplôme d’espion à la sortie de l’Institut Andropov. Oui, vous avez bien lu. « Le but de la manœuvre, c’était de placer mon histoire sur la place publique afin de pouvoir en finir avec ce passé d’espion. À la chute de l’URSS, le KGB a été dissout, le parti communiste interdit et les 15 républiques fédérales de l’Union soviétique sont devenues des pays indépendants, dont la Russie. J’ai démissionné en 1992 et cela se passait très bien, j’étais dans les affaires entre la France, la Suisse et la Russie. À cette époque, il ne m’a pas été difficile de quitter le service actif, mais avec le temps, les choses ont quelque peu changé.

À partir de 1995, j’ai ressenti une très forte pression de mon ancien service pour me récupérer dans ses rangs. À l’époque, je travaillais avec le centre médical de la Présidence de Russie et j’avais accès à des informations qui pouvaient être considérées comme très sensibles, à savoir l’état de santé de nos dirigeants et plus généralement des riches et des puissants. Le prétexte était donc tout trouvé pour essayer de me convaincre de retrouver mes anciennes fonctions en argumentant que cela serait plus sécure. Mais moi, je ne voulais pas.

J’étais donc un peu coincé, car ils auraient pu me faire chanter le reste de ma vie et si je dévoilais mon ancienne appartenance à l’espionnage du KGB, je terminais en prison. J’ai trouvé ce subterfuge, car la loi sur le renseignement m’interdisait de dire que j’étais un ancien espion, mais la loi sur l’éducation me permettait de réclamer mon diplôme. Ma plainte au civil a créé un mini scandale et m’a mis sous les feux de la rampe, moyen pour moi de me protéger de mon ancien service. Et puis Vladimir Poutine est arrivé aux commandes et nombreux sont les anciens du KGB qui se sont vu attribuer des postes clefs. En 2001, j’ai dû partir et m’exiler en France. »

Après avoir « sondé » la Suisse et les États-Unis, Sergueï Jirnov décide de faire une demande d’asile en France. « La France, c’était le pays sur lequel j’avais travaillé le plus. J’étais diplômé de l’ENA et j’avais aussi un petit studio que j’avais acheté en France. Je me suis dit que pendant l’examen de ma demande d’asile, je pouvais habiter chez moi au lieu d’être dans un foyer de demandeurs d’asile. Bon, les Français lorsque j’ai déposé ma demande n’étaient pas très contents, car j’avais tout de même infiltré leur meilleure grande école qui forme les élites. Le but des services français n’était pas de me jeter dans les griffes des services russes pour que je sois persécuté. J’avais été tout de même le premier élève soviétique à pouvoir m’asseoir sur les bancs de l’ENA (rire). »

Sergueï Jirnov rappelle qu’il n’a jamais divulgué dans les médias ses missions opérationnelles et que l’exposition médiatique qu’il a organisée le protège d’éventuelles représailles. « Une fois que vous avez obtenu le statut de réfugié dans un pays capitaliste de l’OTAN, vous êtes catalogué comme un traître. Aujourd’hui, j’écris des pamphlets dans lesquels je suis très critique à l’égard de la politique que mène Poutine, mais de manière très concrète, je ne nuis à personne. Néanmoins, les services ont une bonne mémoire et il n’y a aucune forme de prescription qui vaille. Avec tous mes passages dans les médias, si les services russes s’attaquaient à moi, je deviendrais une vedette mondiale et mon éditeur Louis de Mareuil vendrait 1 million d’exemplaires de notre dernier livre (rire). Il ne faut jamais appliquer une forme de logique aux actions des services spéciaux, car ces services ont leur propre logique et il en est de même pour Poutine. »

Sergueï Jirnov, alias Sergueï Jakov, est l’espion du KGB tel que l’on peut l’imaginer. Brillant, passionnant et maîtrisant sous toutes ses formes l’art de la communication. Dans un échange avec François Waroux retranscrit dans leur livre « KGB-DGSE : 2 espions face à face », Sergueï Jirnov écrit que pendant ces années à l’institut Andropov, tous les étudiants avaient un livre de chevet. Ce livre, c’était « L’art de la guerre » de Sun Tzu. Nul doute que Sergueï Jirnov a une parfaite maîtrise des 13 chapitres de cet ouvrage.

LE LIVRE

Sergueï Jirnov est un ancien espion du KGB, François Waroux a été officier traitant à la DGSE. Le premier a opéré au sein du service des « illégaux » pour l’URSS, notamment pour infiltrer l’ENA, le second a agi sous couverture à travers le monde au nom de la France. Après avoir longtemps œuvré dans l’ombre pour deux camps opposés, ces deux officiers supérieurs ouvrent dans ce livre un dialogue sans tabou sur leur carrière au sein des services secrets. Pour la première fois, un espion russe et un officier français confrontent leurs expériences, leurs analyses et les méthodes utilisées par leurs pays respectifs. Ils révèlent les secrets du travail sous couverture, les techniques de surveillance, les manipulations, mais aussi les angoisses quotidiennes et les cas de conscience qu’impliquent de telles professions. Loin des clichés des films hollywoodiens, ce livre lève le voile sur la réalité des services de renseignement, brisant un à un les mythes en la matière pour leur substituer une face cachée bien plus complexe. De la guerre froide à la guerre technologique, en passant par les nouvelles menaces qui frappent le monde, ces deux grands témoins n’éludent aucun sujet dans leurs échanges. Un voyage d’Est en Ouest pour découvrir le vrai visage de la raison d’État.

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