Abou Mohammed al-Joulani : De l’insurgé anti-américain au dirigeant d’un groupe djihadiste syrien
Origines et jeunesse
Abou Mohammed al-Joulani, de son vrai nom Ahmed Hussein al-Shara, est né en 1984 dans la ville de Deraa, au sud de la Syrie. Issu d’une famille sunnite modeste, il grandit dans une région agricole marginalisée par le régime syrien de Hafez el-Assad, qui privilégiait d’autres régions, notamment les zones alaouites. Dès son jeune âge, il est influencé par l’idéologie islamiste, qui s’oppose au régime laïc et autoritaire de Damas.
Après ses études secondaires, il aurait étudié la littérature arabe à l’université de Damas, mais son parcours est rapidement interrompu par un tournant décisif : la guerre d’Irak. Al-Joulani rejoint les rangs des insurgés qui combattent l’occupation américaine après 2003, marquant le début de son ascension dans les cercles djihadistes.
L’entrée dans le djihad international
C’est en Irak qu’Abou Mohammed al-Joulani se fait connaître. Il intègre les rangs d’Al-Qaïda en Irak, dirigé à l’époque par Abou Moussab al-Zarqaoui. Il gravit les échelons au sein de l’organisation, notamment grâce à ses compétences stratégiques et à son charisme. Après la mort d’al-Zarqaoui en 2006, Al-Qaïda en Irak évolue pour devenir l’État islamique en Irak (EII), précurseur de l’État islamique (EI).
Pendant cette période, al-Joulani est arrêté et détenu par les forces américaines dans la prison de Camp Bucca, en Irak, un lieu souvent décrit comme une « école du djihadisme ». Sa libération en 2008 marque son retour dans les réseaux djihadistes actifs, où il commence à se démarquer comme un stratège influent.
Le retour en Syrie et la création du Front al-Nosra
Avec le déclenchement de la guerre civile syrienne en 2011, al-Joulani revient dans son pays natal, envoyé par les dirigeants de l’État islamique en Irak pour y établir une branche locale. C’est ainsi qu’il fonde le Front al-Nosra en 2012, qui se présente comme une organisation djihadiste sunnite engagée dans la lutte contre le régime de Bachar el-Assad. Al-Nosra se distingue par son efficacité militaire et ses attaques spectaculaires, qui incluent des attentats-suicides et des embuscades contre les forces du régime.
Cependant, les relations entre al-Joulani et Abou Bakr al-Baghdadi, chef de l’État islamique, se détériorent rapidement. En 2013, al-Joulani refuse de prêter allégeance à l’État islamique et déclare son allégeance directe à Ayman al-Zawahiri, le leader d’Al-Qaïda. Ce schisme aboutit à des affrontements sanglants entre le Front al-Nosra et l’État islamique, chacun cherchant à dominer la scène djihadiste syrienne.
Un dirigeant pragmatique et adaptable
Sous la direction d’al-Joulani, le Front al-Nosra adopte une approche stratégique visant à s’intégrer dans le paysage révolutionnaire syrien. Contrairement à l’État islamique, qui impose brutalement son autorité, al-Nosra cherche à gagner la sympathie des populations locales en établissant des alliances avec d’autres groupes rebelles et en fournissant des services dans les territoires qu’il contrôle.
En 2016, al-Joulani tente de se distancier de l’étiquette terroriste d’Al-Qaïda en annonçant la dissolution du Front al-Nosra et la création de Jabhat Fatah al-Cham (HTS). Cette évolution marque une tentative de repositionnement pour être perçu comme un acteur légitime de la rébellion syrienne, plutôt qu’un groupe djihadiste global.
Une figure controversée
Abou Mohammed al-Joulani est une figure controversée. Pour certains partisans de l’opposition syrienne, il représente un leader pragmatique capable de s’opposer efficacement au régime de Bachar el-Assad. Pour d’autres, notamment au sein de la communauté internationale, il reste un chef djihadiste responsable de nombreuses exactions, notamment des exécutions sommaires, des enlèvements et des crimes de guerre.
Malgré ses efforts pour réhabiliter son image, al-Joulani reste inscrit sur la liste des terroristes recherchés par les États-Unis et d’autres pays. Ses alliances changeantes et ses tentatives de repositionnement stratégique témoignent de sa capacité d’adaptation, mais elles ne suffisent pas à dissiper les accusations de son rôle dans des actes de violence extrême.
Un profil psychologique complexe
Al-Joulani est souvent décrit comme un stratège calculateur et charismatique. Sa capacité à fédérer des groupes disparates tout en conservant une discipline au sein de ses propres forces est l’un de ses atouts majeurs. Cependant, son pragmatisme est vu par certains comme un opportunisme, prêt à renier ses alliances ou ses idéologies pour assurer sa survie et celle de son organisation.
Sa tentative de se présenter comme un « leader acceptable » pour l’opposition syrienne, notamment par des interviews avec des médias occidentaux, contraste avec son passé marqué par une idéologie djihadiste rigide.
Un symbole de division et de survie
Abou Mohammed al-Joulani incarne à la fois la complexité de la guerre en Syrie et l’évolution du djihadisme dans un contexte de conflits locaux et internationaux. Il est pour ses soutiens un leader adaptatif qui a su naviguer dans un environnement extrêmement hostile. Pour ses opposants, il reste une figure du terrorisme, coupable de contribuer à la fragmentation et à la radicalisation du conflit syrien. Quoi qu’il en soit, son rôle dans l’histoire récente de la Syrie est indéniable, marquant un chapitre de violence et de transformations profondes pour la région.