Depuis plus de quarante ans, l’Iran tisse patiemment une toile de forces par procuration. Derrière chaque crise, chaque conflit régional, ses proxies agissent. Invisibles pour certains, redoutables pour d’autres, ils incarnent la stratégie indirecte d’une République islamique qui a choisi la souplesse de l’influence déléguée plutôt que l’affrontement direct avec ses adversaires les plus puissants.
Au fil des décennies, ces acteurs multiples sont devenus les prolongements militaires, politiques et idéologiques de Téhéran.
Le cœur du dispositif : les proxies centraux
Au Liban, le Hezbollah représente l’exemple même de cette stratégie. Né en 1982, en pleine guerre, cette organisation est bien plus qu’une milice. Le Hezbollah est devenu le bras armé et idéologique de l’Iran, il cumule des capacités militaires avancées, des missiles de précision, des drones, des forces spéciales aguerries. Au-delà des armes, il est aussi un acteur politique clé au Liban. Sa participation au conflit syrien aux côtés de Bachar el-Assad a renforcé son rôle régional.
Au Yémen, les Houthis (Ansar Allah) incarnent un autre maillon central. Engagés dans une guerre civile brutale, ils bénéficient depuis des années du soutien logistique de l’Iran : formations, transferts de drones kamikazes et autres missiles balistiques. En contrôlant l’accès à la mer Rouge et au détroit de Bab-el-Mandeb, ils menacent désormais depuis plusieurs mois directement les routes maritimes mondiales.
En Irak, les Forces de mobilisation populaire (Hashd al-Shaabi) rassemblent diverses milices chiites sous forte influence iranienne. Certaines ont même été intégrées à l’armée régulière irakienne. Elles permettent à Téhéran de peser politiquement à Bagdad tout en conservant une capacité militaire autonome.
Enfin, au sommet de cette structure, l’Al-Qods Force des Gardiens de la Révolution qui orchestre, finance et supervise l’ensemble. Depuis Téhéran, ses officiers pilotent une galaxie d’acteurs dispersés sur plusieurs théâtres.
Les cercles périphériques
Au-delà de ce noyau dur, d’autres groupes viennent étendre la portée de l’influence iranienne.
En Syrie, des brigades comme les Fatemiyoun (recrues afghanes) et les Zeynabiyoun (Pakistanais chiites) se sont constituées sous l’impulsion directe de l’Iran. Elles complètent les dispositifs de soutien à Damas.
Dans le Golfe, Téhéran appuie certains groupes chiites dissidents au Bahreïn et dans l’est de l’Arabie Saoudite, notamment dans les provinces de Qatif et Al-Hasa, entretenant ainsi une pression constante sur ses rivaux régionaux.
Du côté palestinien, la relation reste plus nuancée. Avec le Jihad islamique palestinien, le soutien iranien est direct et constant. Avec le Hamas, en revanche, les liens connaissent des phases de rapprochement et de distance.
L’ombre portée : réseaux occultes et guerre hybride
Au-delà du Moyen-Orient, l’Iran a élargi sa stratégie à des zones moins exposées.
Ses réseaux de renseignement et cellules dormantes s’étendent désormais à l’Europe, à l’Afrique et à l’Amérique latine. Surveillance des opposants, pressions sur les exilés, menaces ciblées contre des membres du MEK et d’autres dissidents : le bras sécuritaire du régime n’a pas de frontière.
Sur le front cyber, des groupes comme APT33, APT35 (Charming Kitten) ou Shahid Kaveh mènent des opérations complexes d’espionnage industriel, de sabotage numérique et de désinformation. Ici encore, l’Iran privilégie la projection asymétrique, capable de frapper sans déclencher d’intervention militaire classique.
Une stratégie d’influence à coût maîtrisé
La logique est constante depuis 1979. Grâce à ses proxies, l’Iran parvient à projeter sa puissance à moindre coût. Pas d’engagement frontal, mais une présence omniprésente qui pèse lourd dans les équilibres régionaux.
Ces relais lui permettent de dissuader les États-Unis, de défier Israël, de maintenir une pression constante sur les monarchies du Golfe, et de soutenir ses alliés syrien et irakien sans épuiser directement ses propres ressources militaires.
Depuis 2020 et l’élimination du général Qassem Soleimani, artisan central de cette architecture, la mécanique ne s’est pas arrêtée. Au contraire, elle s’est renforcée. Les capacités de drones et de missiles balistiques ont été multipliées. La coordination régionale entre le Hezbollah, les Houthis, les milices irakiennes et le Jihad islamique palestinien s’est intensifiée.
Face à Israël et aux États-Unis, l’Iran continue de privilégier cette guerre de l’ombre où il excelle. Une guerre où la ligne rouge reste toujours mouvante, mais dont la montée en puissance devient chaque année plus lisible. Mais depuis le 13 juin et l’opération Rising Lion le régime des mollahs va devoir abattre ses cartes et s’engager frontalement face à Israël. Il ne fait toutefois aucun qu’ils mèneront également une guerre asymétrique (terrorisme, attaque cyber, etc.)