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Wagons réservés aux femmes : solution partielle, enjeu global

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Lancée le 24 octobre, une pétition sur change.org réclame des wagons réservés aux femmes en Île-de-France après la tentative de viol sur le RER C à la mi-octobre. Cette pétition frôle les 20 000 signatures et rallume un débat récurrent à savoir séparer pour protéger, ou renforcer l’ensemble du dispositif de sûreté. Le sujet est sensible, concret, et il engage des choix politiques très prosaïques.

Ce que font les autres pays

Au Japon, des voitures « Women-Only » existent aux heures de pointe sur de nombreuses lignes. Le système repose largement sur la norme sociale et la signalétique, car il n’existe pas, en pratique, de sanction pénale automatique si un homme refuse de descendre, même si les tribunaux ont validé la légitimité du dispositif au regard de son objectif et de son périmètre limité. Autrement dit : efficacité culturelle, faible force contraignante.

À Delhi, une voiture est réservée aux femmes. La sécurité est assurée au travers d’opérations ponctuelles de contrôle ayant pour objectifs de sanctionner les contrevenants. Toutefois, l’application reste inégale selon les plages horaires et les lignes. Des milliers d’hommes sont encore verbalisés chaque année pour intrusion dans ces voitures.

À Mexico, on trouve des zones d’embarquement réservées aux femmes et aux enfants, avec la présence d’agents et de barrières physiques aux heures de pointe. Pourtant, la perception d’insécurité demeure élevée dans les transports publics.
En effet, plusieurs travaux et enquêtes latino-américaines font état d’une majorité de femmes qui se sentent en insécurité lors de leurs trajets, parfois au-delà de 70 %.

En Europe, un contre-exemple intéressant est la ville de Londres qui n’a pas cherché à séparer les voitures, mais a massivement investi dans les actions de signalement et la réponse des forces de sécurité. La campagne « Report it to stop it », couplée au SMS discret 61016 de la British Transport Police, a entraîné une hausse marquée des signalements et des arrestations l’année suivante.

Où placer le curseur en France ?

Les « compartiments femmes » ont du sens sur un segment précis, notamment la nuit et sur de longues distances. À titre d’exemple, l’Autriche pratique cette approche sur les trains de nuit Nightjet, avec des compartiments réservés aux femmes. Une telle réponse correspond à des moments de vulnérabilités spécifiques que sont un trajet long, du personnel réduit et une phase de sommeil.

Sur les courtes distances – RER, métro, Transilien – on atteint vite la limite de l’exercice. À flux tendu et quais saturés, la séparation devient symbolique si elle n’est pas portée par un triptyque solide représenté par une présence humaine, une réactivité opérationnelle et une sanction effective en cas de manquements. Les exemples de Delhi et Mexico démontrent que, sans une application stricte et continue, la mesure se délite sur le terrain.

Mon point de vue

Oui, pour des compartiments dédiés aux femmes et aux enfants sur les trains de nuit et de longue distance c’est utile, demandé, et déjà éprouvé ailleurs. Non, il ne faut pas instaurer une voiture réservée aux femmes en Île-de-France, à moins que l’ensemble du système ne soit parfaitement équipé. Dans les faits, le besoin de sécurité ne s’arrête pas au bord du quai, mais se poursuit dans les parkings, les abords de gares, les cheminements piétons mal éclairés et bien d’autres lieux. L’idée de tout séparer est une mauvaise et la seule qui vaille est dans l’absolu de tout protéger.

Concrètement, que faire ?

D’abord, la justice. Les agressions dans les transports méritent une réponse lisible et un circuit de poursuite accélérés, de la fermeté dans les peines prononcées et une « publicité » des condamnations dans un but dissuasif. En Europe, là où l’arsenal judiciaire est clair et l’exécution rapide, la confiance remonte ; l’inverse nourrit l’omerta.

Ensuite, l’alerte. Londres a normalisé un canal discret et universel (texte au 61016) et l’a martelé jusqu’à créer un réflexe. La France devrait s’inspirer de cette mesure en créant un numéro court national versus 17 – 112 ou le 3117 ou 31177 pour la SNCF et la RATP et connu de tous. En l’espèce, il est primordial que l’appel soit géolocalisé, car une personne qui a besoin d’assistance peut consacrer 30 secondes à rédiger un SMS, mais pas 5 minutes en attendant qu’un opérateur du 17 décroche. De plus, la multiplication des boutons d’alerte visibles dans chaque rame et sur chaque quai est d’une nécessité absolue.

Pour les bus, la « descente à la demande » le soir pour les femmes et les enfants doit devenir une règle par défaut et non plus une expérimentation.

Puis, la présence. Rien ne remplacera la présence de forces de sécurité (publique et privée) et ce, de jour comme de nuit. Alors, oui c’est coûteux, mais la sécurité de toutes et tous a un prix.

L’ingénierie et la transparence. La vidéoprotection intelligente avec des suivis en temps réel constitue un point de passage obligé pour lutter contre toutes les formes d’actions malveillantes à la condition d’être en mesure de détecter et réagir en un temps record.

Enfin, il est de plus de la plus haute importance d’avoir des statistiques publiques – agressions, signalements, interpellations, condamnations – sur le modèle londonien, car mesurer, c’est gouverner, et c’est aussi rendre des comptes, si nécessaire.

La plupart de ces mesures sont déjà déployées, mais là où ça cloche, ce sont les effectifs qui sont insuffisants et les moyens qui devraient être renforcés.

La clef de voûte : le financement

Toutes ces mesures pour qu’elles soient véritablement efficientes représentent des dizaines de millions d’euros par an en charges et investissements. Ce sont donc des arbitrages politiques qui se justifient si l’on considère l’ampleur du phénomène, mais également par l’obligation de sécurité de l’État.

L’essentiel, sans décor

Les voitures dédiées peuvent être un complément utile sur un créneau précis. Toutefois, la colonne vertébrale repose sur des moyens humains, des procédures d’alerte qui fonctionnent, une justice qui ne patine pas et des équipements vraiment opérationnels. Protéger partout, pour toutes et tous. Le reste, c’est de la décoration.

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