Le vol de bijoux au Louvre fascine. Entre quatre et sept minutes, un casse maîtrisé et des pièces historiques envolées. C’est impressionnant, oui, mais pas historique au sens où on l’entend partout. Le « casse du siècle » a un sens technique et une mémoire longue. Pour que ce casse se transforme en casse du siècle, il aurait fallu vider une galerie entière et bouleverser un système. Nous n’y sommes pas.
Ce qui s’est passé, précisément
Dimanche 19 octobre 2025, vers 9 h 30, quatre individus pénètrent par la Galerie d’Apollon, brisent des vitrines et repartent en quelques minutes avec huit pièces « inestimables », dont des joyaux liés au XIXᵉ siècle (impératrices et reines). Les premières estimations avancent un préjudice d’environ 88 M€. Le parquet de Paris a confié l’enquête à la BRB et à l’OCBC en appui. Les modalités d’action du casse confirment une préparation sérieuse, mais il n’en reste pas moins que ce casse n’est pas exceptionnel au vu des modus operandi.
Pourquoi ce n’est pas « le » casse du siècle
L’expression a une histoire. Elle renvoie à des opérations qui ont soit redéfini un standard (sécurité bancaire, muséale, joaillière), soit produit un choc durable par l’ampleur, la méthode ou les suites judiciaires. Un « casse du siècle » ce n’est pas seulement un gros montant, c’est un basculement dans les moyens engagés par les cambrioleurs et le casse du Louvre 2025 n’en est pas un.
1963, Grande-Bretagne : le train postal dévalisé
Le Great Train Robbery reste un cas d’espèce : 2,61 M£ saisis sur un convoi postal, une logistique rare pour l’époque, une traque nationale et des condamnations lourdes. La majorité des auteurs seront identifiés et jugés. Un jalon fondateur de la lutte moderne contre le grand banditisme.
1976, Nice : le tunnel de Spaggiari
Depuis les égouts, voûte percée, coffres ouverts « sans arme, ni haine, ni violence ». L’icône française du casse d’ingénierie. Ordre de grandeur : 46 millions de francs. Plusieurs complices condamnés. Le cerveau de l’opération Spaggiari est interpellé, puis s’évade et ne sera jamais repris. Une audace souterraine devenue mythe.
1983, Londres : Brink’s-Mat, l’or fondu
À Heathrow, 26 M£ d’or, diamants et cash disparaissent. Au-delà du butin, l’affaire marque par l’industrialisation du recel : fonte, blanchiment mondial et des assassinats connexes. Des condamnations suivent, mais l’essentiel de l’or ne reparaîtra jamais.
1990, Boston : Isabella Stewart Gardner, le trou noir
Deux faux policiers, treize œuvres (Vermeer, Rembrandt…) et, depuis, le silence. Pas d’interpellation, aucune œuvre retrouvée, prime record toujours offerte. Plus qu’un vol c’est un traumatisme culturel durable pour les États-Unis.
2003, Anvers : le diamant et les dix couches de sécurité
Au Diamond Center, l’équipe Notarbartolo contourne serrures, capteurs et coffres. Plus de 100 M$ volés, quelques condamnations, mais la majeure partie du butin introuvable. Un manuel de bypass technologique, disséqué jusque dans la presse technique.
2005, Fortaleza : 78 mètres de tunnel
Au Brésil, un chantier clandestin avec ventilation et équipe dédiée débouche sous le Banco Central. Environ 160 M R$ (environ 70 M$ à l’époque) disparaissent. Puis des vagues d’arrestations sur plusieurs années, peu d’argent récupéré. Ce casse a réclamé un génie civil incroyable, énormément de logistique et un temps long.
2008, Paris : Harry Winston, la vitrine la plus chère
Pink Panthers et associés ciblent l’avenue Montaigne. Bilan cumulé des deux braquages (2007-2008) : plus de 100 M€ ; huit condamnations en 2015, mais une large part du butin manque encore. La joaillerie de luxe découvre sa propre fragilité.
2010, Paris : le Musée d’Art moderne éventré
Cinq toiles majeures (Picasso, Matisse, Modigliani, Braque, Léger). Montant du butin environ 100 M€. Vjeran Tomic, dit « l’Homme-araignée » est interpellé et condamné à huit ans de prison. Les œuvres n’ont pas été retrouvées.
2015, Londres : Hatton Garden, la « bande des septuagénaires »
Vacances de Pâques, perceuse industrielle, coffre collectif éventré. Environ 14 M£. Les principaux auteurs seront condamnés et une partie du butin récupéré. Une affaire qui ridiculise les stéréotypes, car l’âge n’empêche ni méthode ni entêtement.
2019, Dresde : le Grünes Gewölbe lacéré
Joyaux historiques arrachés en quelques minutes. Valeur estimée : 113 M€. En 2023, cinq membres d’un même clan sont condamnés. Une partie substantielle est restituée, mais quelques pièces manquent encore. L’Allemagne rehausse ses standards muséaux.
Ce que le Louvre 2025 change (ou pas)
En Europe, les musées savent arbitrer entre accessibilité et sûreté et manifestement cela n’a pas été le cas au Louvre qui révèle de nombreuses failles de sûreté qui mises bout à bout ont permis un passage à l’acte audacieux, mais qui n’a rien d’extraordinaire sur un plan technique et tactique.
Les suites décideront du rang de cette affaire : Interpellations ? Filières de recel ? Restitution ? Pour l’instant, nous sommes face à un vol très professionnel, mais en aucun cas à un pivot historique.







