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Le silence des victimes : quand la souffrance devient invisible

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Elles ne cassent pas des vitrines. Ne brûlent pas de voitures. Ne défilent pas avec des pancartes. Et pourtant, elles sont partout, bien trop nombreuses et trop seules. Les victimes de l’insécurité vivent dans l’ombre, là où la société détourne les yeux, par habitude, par fatigue ou bien par inconfort.

Une bascule brutale, sans retour

Un mot, un souffle, un bruit derrière soi, une main posée sans consentement, un regard « trop insistant », une rue sans lumière. Et tout change en une fraction de seconde. Ce n’est pas spectaculaire. C’est presque banal. Mais c’est irréversible.

Avant, elles allaient au travail, prenaient le métro, ouvraient leur boutique, riaient avec des amis. Après, elles calculent leurs trajets, verrouillent leur vie, baissent la tête. Elles n’ont rien demandé. Pourtant, elles ont basculé dans un autre monde. Un monde qui ose à peine les regarder.

La solitude comme peine capitale

On parle beaucoup des auteurs, de leur histoire, de leur parcours, des circonstances qui les ont poussés. Les mots sont polis, précis : réinsertion, accompagnement, résilience. Et les victimes, elles ? Rien ou plus exactement si peu.

Un commerçant tabassé ? On l’oublie. Une lycéenne harcelée ? On compatit, vaguement. Une femme agressée dans le métro ? On relaye l’info. Puis on passe à autre chose. Les victimes, elles ne passent pas à autre chose. Elles vivent enfermées dans des souvenirs qui collent à la peau, sans jugement, sans appel et sans fin.

Une justice lente, souvent absente

Il faudrait attendre. Laisser le temps aux institutions de faire leur travail. Mais attendre combien de temps ? Trois mois ? Un an ? Deux ? Et pendant ce temps, l’agresseur reprend sa vie trop souvent sa vie comme si de rien n’était.

Alors, on explique, on contextualise, on évoque l’environnement social, les difficultés de parcours, les zones grises. Et pendant qu’on cherche des excuses, la victime, elle cherche un sens à tout cela, mais en vain.

La société préfère ne pas voir

Peut-être est-ce plus simple ainsi. Ne pas trop regarder et ne pas trop écouter. Se dire que ce sont des exceptions, des cas isolés. Que tout cela n’arrive qu’aux autres. Jusqu’au jour où cela vous arrive. Et là, on comprend que le silence n’est pas neutre. C’est une autre forme de violence qui est aussi froide qu’injuste et très souvent totalement insupportable.

On parle de caméras de vidéosurveillance, de policiers, de budgets, de lois ou bien de chiffres. Jamais ou presque des gens ou plus précisément des victimes, de ceux qui dorment mal ou qui changent d’itinéraire. Qui s’effondrent pour un rien. La République promet de nous protéger, elle oublie souvent de réparer.

Reprendre la parole. Rendre justice.

Il ne s’agit pas de faire campagne ou de politiser la souffrance. Il s’agit de faire œuvre de justice en jugeant vite et bien pour toutes les parties prenantes. Il s’agit également d’offrir des lieux de réparation et non plus juste des formulaires.

Il est temps de remettre les victimes au centre. Pas à la marge. Elles ne sont pas des dommages collatéraux. Elles sont la raison même d’agir. Si l’on ne le fait pas pour elles, alors pour qui le ferons-nous ?

Cet article est issu des réflexions développées dans mon livre Insécurité en France : On n’est pas sorti de l’auberge !, disponible en librairie et sur les plateformes en ligne. Un ouvrage pour comprendre en profondeur les racines, les mutations et les enjeux de l’insécurité aujourd’hui.

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