Interview réalisée en 2021

Dans un monde qui n’est pas si lointain, il fallait lire les livres de John Le Carré pour s’immerger dans le monde l’espionnage et pouvoir toucher du bout du doigt les techniques et tactiques employées par ces guerriers de l’ombre. Des films tels que Spy Game avec Robert Redford et Brad Pitt sont venus amplifier le mythe de l’espion au regard ténébreux et à l’esprit vif comme l’éclair, capable de manipuler, retourner ou bien encore exfiltrer une source en moins de temps qu’il ne faut pour le dire.

Plus récemment, c’est la série « Le bureau des légendes » qui a permis aux citoyens que nous sommes de pénétrer dans les coulisses de la DGSE et de son service des clandestins. Guillaume Debailly alias Malotru, Marina Loiseau alias Rocambole ou bien encore Henri Duflot alias Socrate sont sortis de la clandestinité pour atterrir dans nos salons.

Ces femmes et hommes de l’ombre fascinent avec leur double vie construite autour de légendes et de missions à l’étranger. Mais, le propre de toute fiction est « d’habiller » quelque peu la réalité pour la rendre alléchante avec des espions à la une vie trépidante et qui, tels des chats, finissent toujours par retomber sur leurs pattes.

Pour tous ceux qui s’intéressent à l’univers de l’espionnage, il y a un chemin bien plus court et surtout plus empreint de réalisme que lire les romans de John Le Carré ou décortiquer toutes les saisons du bureau des légendes. Ce chemin se nomme « Talks with a spy », une chaîne YouTube animée par un ancien clandestin et officier traitant de la DGSE. Sous le pseudonyme d’Olivier Mas alias Beryl614, cet ancien agent partage de manière extrêmement pédagogique les techniques et certaines tactiques qui sont mises en œuvre sur le terrain. Le Youtubeur de l’ombre est également l’auteur de 2 livres : « J’étais un autre et vous ne le saviez pas » et « Profession espion »

Saint-Cyrien et diplômé de l’École de guerre, Olivier Mas a fait ses armes notamment au sein du 1er RPIMA. Puis, après une période de commandement à Verdun, il a rejoint les rangs de la DGSE. « Au fil des années, ma carrière de militaire m’éloignait du terrain et je souhaitais continuer à y être présent. C’est ainsi que je suis entré à la DGSE. Je dois dire que j’ai totalement trouvé ce que j’étais venu chercher, humainement et intellectuellement, au sein de la DGSE ».

À la DGSE, Olivier Mas a occupé des fonctions au sein de la direction des opérations et celle du renseignement. « Je suis resté pendant 3 ans à la direction des opérations au service clandestin, période pendant laquelle j’ai vécu des moments très forts. Le service des clandestins est un petit club où vous êtes déployé sous légende, ce sont des moments extrêmement forts. L’envers de la médaille est que vous pouvez être à des milliers de kilomètres de vos chefs et, en cas de problème, vous devez dans un premier temps les gérer seul. J’ai également beaucoup aimé ma période à la direction du renseignement où j’ai été officier traitant, chef de poste à l’étranger, période pendant laquelle j’ai eu également de fortes décharges d’adrénaline. Les deux directions, bien que très différentes, m’ont plu de la même manière. »

En tant qu’ancien officier du 1er RPIMA, Olivier Mas aurait pu chercher à intégrer le service action (SA) de la DGSE, mais cette possibilité n’a pas retenu son attention. « C’était le bras de fer psychologique du renseignement qui m’intéressait et l’idée de rejoindre le SA n’a pas retenu mon attention. »

En quittant la DGSE, l’ancien officier aurait pu se lancer dans une carrière de consultant ou trouver un poste de directeur de la sûreté et sécurité dans une multinationale. « Après avoir fait du renseignement pour la France, je ne me voyais pas en faire pour une entreprise, et cela même si c’est important pour une société de gagner des parts de marché. J’ai toujours eu un côté créatif que je souhaitais exprimer pleinement. Aujourd’hui, j’écris, je fais des vidéos que je monte moi-même et j’exprime dans ces activités toute ma créativité.

Avec 144 000 abonnés sur sa chaîne YouTube « Talks with a spy », Olivier Mas, qui était habitué au discret couloir du boulevard Mortier, s’est subitement retrouvé dans un puits de lumière qui ne cesse de s’agrandir. La question était de savoir comment l’ancien employeur d’Olivier Mas percevait sa boulimie pédagogique concernant les arcanes de l’espionnage. « Pour créer cette chaîne, je ne leur ai pas demandé l’autorisation, car les choses auraient été beaucoup trop compliquées. Je voulais de la souplesse et de la rapidité en créant cette chaîne sur YouTube et nul doute que les choses auraient été plus complexes si le service avait dû donner son aval à chacune de mes vidéos. J’ai tout de même tenu à rassurer la DGSE sur mes démarches, sans oublier que je suis tenu au secret et je n’ai en aucun cas pour objectif de trahir des secrets d’État. Ils ont, semble-t-il, bien compris que je maîtrisais les choses. De plus, les sources d’informations ouvertes concernant les approches techniques ou tactiques en matière d’espionnage sont pléthoriques. En venant sur ma chaîne, mes abonnés ont la certitude que je suis un ancien de la DGSE et que par conséquent mes propos sont véridiques. Sur « Talks with a spy », je n’en dis pas plus qu’ailleurs, mais me concernant, il y a le sceau de l’authenticité et celui de la légitimité. »

Olivier Mas vit sous IF (fausse identité) depuis plus de 20 ans et cette culture du renseignement fait partie à part entière de l’ADN de l’ancien espion. Nul doute que certains abonnés de la chaîne « Talks with a spy » doivent se demander si les liens entre Beryl614 et la DGSE sont véritablement coupés. Sans aucune forme de spéculation, il ne peut être que constaté que cette chaîne YouTube est une superbe vitrine pour une direction générale de la sécurité extérieure qui est en quête permanente de jeunes talents…