Sergueï Olégovitch Jirnov aurait pu être un personnage sorti tout droit d’un roman de John Le Carré. Pourtant, sa vie d’espion n’a rien de fictionnel. Né en 1961, ce brillant étudiant soviétique intègre en 1984 l’Institut Andropov, aussi surnommé l’École de la Forêt, qui forme les officiers du renseignement extérieur du KGB. Il étudiera aux côtés d’un certain Vladimir Poutine.
Son recrutement est singulier. Alors qu’il participe en 1980 à un concours de Radio France Internationale, son télégramme envoyé depuis la ville fermée de Zelenograd est intercepté par le KGB. Soupçonné d’être un dissident, il est interrogé avant d’être repéré pour ses compétences. C’est ainsi que débute son destin d’agent clandestin.
À cette époque, la guerre froide est à son apogée. Le prestige du KGB est renforcé sous l’impulsion de Youri Andropov, après les années de déclin post-staliniennes. L’intégration à l’Institut Andropov est vécue par Jirnov comme un honneur patriotique. « Intégrer le KGB représentait une opportunité de servir l’URSS et de voyager dans le monde entier », explique-t-il.
Pendant trois années, il se forme sous légende, vivant sous pseudonyme, et bénéficie d’un traitement de faveur : « Je gagnais en première année deux fois plus que mes parents en fin de carrière. »
À sa sortie, il rejoint le prestigieux service des « illégaux », ces agents déployés sans couverture diplomatique. Il évolue directement sous les ordres du général Youri Drozdov, figure mythique du renseignement soviétique.
Avec l’effondrement de l’URSS en 1991, Sergueï Jirnov quitte le service actif. Mais les nouveaux services russes tentent de le récupérer, notamment en raison de ses fonctions dans le secteur médical lié à la présidence russe. Pour se protéger, il initie une action en justice contre le SVR (Service des renseignements extérieurs) afin de réclamer son diplôme d’espion. Un scandale discret qui l’oblige à fuir la Russie en 2001 pour s’exiler en France.
« J’avais infiltré l’ENA, ce qui n’a pas vraiment réjoui les autorités françaises à l’époque », confie-t-il avec humour. Mais la France lui accorde finalement l’asile, reconnaissant la menace qui pèse sur sa vie.
Aujourd’hui réfugié politique, Sergueï Jirnov vit sous sa véritable identité tout en continuant à se protéger. Il est devenu auteur, journaliste et consultant, sans jamais dévoiler d’informations sensibles sur ses missions passées. Sa critique ouverte de Vladimir Poutine dans les médias le place cependant toujours dans le collimateur des services russes.
À travers ses interventions publiques, Jirnov rappelle que « les services secrets n’oublient jamais » et que la prudence reste un principe intangible.
Sergueï Jirnov a coécrit avec François Waroux, ancien officier de la DGSE, le livre KGB-DGSE : deux espions face à face. Un dialogue inédit entre deux anciens officiers qui confrontent leurs expériences respectives, loin des clichés hollywoodiens. De la guerre froide aux nouvelles menaces géopolitiques, l’ouvrage dévoile les réalités complexes du renseignement et la part d’ombre inhérente à ces métiers.
Dans ses écrits, Jirnov souligne l’importance de l’œuvre majeure de Sun Tzu, L’Art de la guerre, livre de chevet de tous les étudiants de l’Institut Andropov.