Au sud de l’Italie, loin du fracas médiatique des grandes organisations criminelles, une mafia discrète tisse sa toile. La Sacra Corona Unita (SCU), souvent éclipsée par la renommée de Cosa Nostra ou de la ‘Ndrangheta, exerce pourtant depuis des décennies une influence souterraine qui façonne l’économie et la société des Pouilles. Sa force réside dans sa capacité à muter sans bruit, à s’adapter aux temps modernes sans jamais perdre ses racines violentes.

Une naissance sous le sceau de l’opportunisme

La Sacra Corona Unita émerge officiellement au début des années 1980, dans un contexte où l’Italie du Sud est en pleine recomposition mafieuse. Fondée par Giuseppe Rogoli, un ancien membre de la ‘Ndrangheta calabraise, la SCU naît d’une volonté pragmatique : contrôler les Pouilles face à l’expansion des mafias voisines.

Dès ses origines, elle se distingue par un rite d’initiation emprunté aux traditions maçonniques et par un serment d’allégeance redoutable. Son implantation tire profit du système carcéral italien, où elle recrute ses premiers soldats, mêlant petites frappes locales et anciens mafieux déchus.

Rapidement, elle s’insinue dans les trafics de drogue, d’armes, d’êtres humains, tout en investissant les secteurs légaux : BTP, agriculture, tourisme. L’ancrage dans l’économie locale lui confère une légitimité sociale discrète mais puissante.

L’art de survivre dans l’ombre

Contrairement aux mafias plus spectaculaires, la Sacra Corona Unita cultive la discrétion comme arme principale. Peu d’attentats, peu de morts célèbres. Son pouvoir repose sur une stratégie d’infiltration lente, presque imperceptible.

La SCU a aussi su éviter les erreurs de ses grandes sœurs : elle privilégie les structures souples, évitant la centralisation qui fragilise. Chaque clan, ou « batteria », fonctionne de manière semi-autonome, tout en reversant une part de ses profits au sommet.

Cette capacité d’adaptation s’est avérée essentielle face à la pression judiciaire intense exercée par l’État italien depuis les années 1990. Là où d’autres organisations ont sombré sous les coups des repentis et des enquêtes antimafia, la SCU a su conserver une capacité opérationnelle solide, en particulier dans les trafics internationaux.

Une dimension internationale insoupçonnée

Longtemps considérée comme une mafia régionale, la Sacra Corona Unita a progressivement tissé des liens étroits avec les cartels sud-américains, les mafias albanaises, les réseaux criminels d’Europe centrale.

Les ports des Pouilles, idéalement situés face aux Balkans, sont devenus des points névralgiques pour l’importation de cocaïne, d’héroïne, d’armes et de migrants. Cette dimension logistique donne aujourd’hui à la SCU une place incontournable dans les flux criminels transnationaux.

Son influence discrète se retrouve aussi dans les circuits légaux : rachats d’hôtels, investissements dans l’immobilier, entreprises-écrans dans l’agroalimentaire. Une manière habile de recycler l’argent sale tout en consolidant sa présence économique.

Sacra Corona Unita : une menace trop souvent sous-estimée

En négligeant la SCU au profit des grandes figures du crime organisé, les autorités européennes prennent le risque de sous-estimer une menace silencieuse mais réelle.

La Sacra Corona Unita ne cherche pas la lumière. Elle prospère dans l’ombre des crises économiques, des failles institutionnelles, des marges territoriales oubliées. Sa discrétion est sa plus grande force.

Face à cette mafia moderne, ancrée dans les territoires et connectée aux réseaux internationaux, seule une vigilance continue, mêlant action policière, coopération judiciaire et travail social, pourra enrayer son influence grandissante.

Car derrière l’apparente tranquillité des ports, des oliveraies et des plages des Pouilles, c’est une guerre souterraine qui continue de se jouer.