Détecter les risques, c’est s’aventurer dans un univers où l’impossible n’existe plus. Car les crises ne surgissent jamais là où l’on les attend. Leur origine réside souvent dans des signaux faibles, dissimulés dans l’épaisseur du réel. C’est précisément cette opacité qui rend leur anticipation si complexe – et si cruciale.

Ce que nous ne voyons pas peut nous frapper de plein fouet

Certains risques sautent aux yeux. D’autres, plus sournois, évoluent en silence, hors de notre champ de perception immédiat. Ils se nichent dans les interstices d’un système, attendant patiemment le moment propice pour émerger.

Et pourtant, dans notre langage quotidien, le mot « risque » est omniprésent. Il est souvent associé à une part d’optimisme : « cela risque d’être amusant », « je risque le tout pour le tout ». Nous évoquons le risque comme une éventualité maîtrisable. Mais en réalité, cette notion est bien plus volatile.

L’illusion de la probabilité maîtrisée

Le cœur du problème, en matière d’analyse des risques, réside dans l’obsession de quantifier. Attribuer une probabilité à un risque est devenu un réflexe quasi systématique. Pourtant, c’est un exercice éminemment fragile.

Car une probabilité faible ne garantit en rien une non-réalisation. L’occurrence d’un événement peut passer de peu probable à certaine en un claquement de doigts, dès lors que les conditions de matérialisation – souvent ignorées – s’alignent soudainement.

Les composantes du risque jouent à cache-cache

Dans les faits, l’analyse des risques s’ajuste en fonction des éléments visibles à l’instant T. Une situation calme induit une perception de faible risque. Mais lorsque certaines composantes se mettent en mouvement – colère sociale, éléments matériels disponibles, absence de dispositifs d’anticipation – la bascule peut être immédiate.

L’épisode des gilets jaunes en est une illustration emblématique. Les premières occupations de ronds-points paraissaient pacifiques. Puis, à Paris, la manifestation initialement attendue sur le Champ de Mars bascule vers les Champs-Élysées, et l’imprévu devient chaos : incendies, affrontements, pillages.

La préfecture de police est alors prise de court. Non pas par ignorance, mais par l’incapacité à détecter à temps les signaux faibles que le terrain délivrait pourtant.

Anticiper l’impensable

Le 11 septembre 2001, plusieurs experts américains avaient évoqué le scénario d’un attentat d’envergure sur le sol des États-Unis. Ils n’ont pas été écoutés. L’histoire retiendra que ce jour-là, l’impensable est devenu tragiquement réel.

Gérer un risque ne consiste pas à réagir à l’évidence, mais à se préparer à ce qui ne se voit pas encore. Une analyse de risques ne repose ni sur l’intuition, ni sur les émotions. Elle est un travail de décodage, d’observation minutieuse, d’interprétation de signaux faibles – une discipline de l’humilité et du doute structuré.