Ce matin, dans les rues encore engourdies du 11e arrondissement de Paris, un couple a échappé de peu à une tentative d’enlèvement. Une scène glaçante, survenue à l’heure de pointe, en plein cœur de la capitale. Le récit pourrait appartenir à un polar urbain. Il s’agit pourtant d’un fait bien réel, symptomatique d’une bascule silencieuse dans les logiques de violence contemporaine.
Il est 8h30. Une femme enceinte et son compagnon marchent d’un pas régulier lorsqu’un véhicule siglé Chronopost s’arrête brusquement à leur hauteur. Quatre hommes, dont trois encagoulés, en descendent. Ils sont armés. Ils tentent de forcer le couple à monter à bord. Ce qui aurait pu n’être qu’un banal passage angoissant tourne à la scène de crime évitée de justesse : grâce à l’intervention de riverains alertés par les cris, les deux victimes parviennent à se dégager et à fuir. Le véhicule disparaît, les ravisseurs aussi. Le couple est sain et sauf, mais profondément marqué.
Ce fait-divers n’est pas isolé. Depuis plusieurs mois, les signalements de tentatives d’enlèvements en lien avec la cryptomonnaie se multiplient. Victimes ciblées, modes opératoires sophistiqués, usage de la violence physique : tout indique une mutation du banditisme.
Dans l’univers numérique des cryptomonnaies, l’anonymat est une promesse. Mais c’est aussi un piège. Des fortunes y circulent, invisibles aux yeux du fisc, des autorités… et même parfois de leur propre détenteur, jusqu’à ce qu’il soit trop tard. Le phénomène n’est plus marginal. Il se structure. Enlèvements, extorsions, vols à domicile : les détenteurs de cryptoactifs deviennent des cibles, parfois repérées via les réseaux sociaux, parfois à l’issue de rencontres anodines.
Dans l’affaire parisienne de ce 13 mai, les enquêteurs de la Brigade de répression du banditisme (BRB) privilégient cette hypothèse. L’identité de la victime masculine, dont le profil serait lié à l’univers des actifs numériques, fait écho à d’autres cas récents en Europe. Une nouvelle économie parallèle s’est installée. Elle n’a pas de frontières, pas de règlements, mais elle a ses codes… et ses prédateurs.
Ce qui frappe dans cette affaire, au-delà de sa violence, c’est l’audace. Enlever en plein jour, en centre-ville, avec un faux véhicule de livraison, n’est pas le fruit d’une improvisation. C’est un signal. Celui d’une criminalité qui ne se cache plus, qui agit à visage couvert mais en pleine lumière. Dans un pays encore secoué par l’évasion spectaculaire de Mohamed Amra, les violences au palais de justice de Bordeaux, ou les rodéos urbains impunis, cet événement ne fait que nourrir le sentiment d’un relâchement de l’ordre.
Il n’y a pas de hasard dans cette accumulation. Il y a, en revanche, une convergence. Des actes isolés qui forment, peu à peu, le dessin d’un climat. Celui d’une société dans laquelle la règle est contestée, l’autorité défiée, et la violence banalisée.
Les cryptomonnaies sont un outil. Elles offrent des perspectives économiques nouvelles, parfois libératrices. Mais lorsqu’elles échappent à tout cadre, elles deviennent une porte ouverte au crime organisé, aux règlements de comptes, aux disparitions sans trace. Dans le réel, ce sont des vies qui vacillent, des enfants qui voient leurs parents se faire agresser, des quartiers qui sombrent dans la méfiance.
Ce que montre cette tentative d’enlèvement, c’est la nécessité d’un sursaut. Pas seulement policier. Mais aussi éthique, technologique, législatif. À l’heure où tout s’achète et se vend dans l’anonymat d’un portefeuille numérique, la sécurité ne peut plus se penser comme hier. Elle doit s’adapter, se structurer, se renforcer, sans renier les principes fondamentaux de l’État de droit.
Car à ce rythme, la réalité dépassera bientôt la fiction. Et nous serons, pour longtemps encore, enfermés dans cette auberge dont nul ne semble trouver la sortie.