La France enferme plus qu’elle ne libère. En octobre 2024, 79 631 personnes étaient incarcérées pour une capacité officielle de 62 300 places. Un chiffre qui dit tout, ou presque, d’un système à bout de souffle. Derrière les barreaux, c’est l’État de droit qui s’étouffe, lentement, mais sûrement.
Depuis plus d’une décennie, les gouvernements successifs promettent d’« en finir avec la surpopulation carcérale ». Le dernier objectif en date 15 000 places supplémentaires d’ici à 2027 ne sera vraisemblablement pas tenu. À peine lancé, le plan bute déjà contre les résistances locales, les lenteurs administratives, les contraintes foncières. Il faut du terrain, de l’acceptation et du temps. Et, nous n’avons ni l’un, ni l’autre.
Pendant ce temps, la machine judiciaire continue d’envoyer des condamnés dans des établissements qui débordent. L’administration pénitentiaire colmate, improvise, entasse. Dans certains établissements, le taux d’occupation dépasse 180 %. La promiscuité devient la norme. L’intimité disparaît. Et avec elle, toute perspective de réinsertion.
Dans ces conditions, comment parler de justice ? La peine est censée punir, oui, mais aussi préparer un retour dans la société. Or, dans une cellule prévue pour deux, où dorment parfois trois ou quatre hommes, le temps ne construit rien. Il détruit. Les tensions explosent, la violence se banalise, les surveillants s’épuisent.
À force de condamner sans pouvoir exécuter correctement les peines, la République sape son propre autorité. La prison, censée incarner la force du droit, devient le révélateur de ses faiblesses. Pire : elle fabrique de la récidive. Un détenu mal accompagné, mal soigné, mal considéré, sortira plus dangereux qu’il n’est entré.
Mais la crise n’est pas que carcérale. Elle est judiciaire dans son ensemble. Débordée, la justice n’est ni rapide, ni équitable. L’attente d’un procès, la lenteur des décisions, les conditions d’exécution des peines… tout participe à la perte de sens.
Le citoyen voit la chaîne pénale se déliter. Les victimes attendent. Les accusés languissent. Et ceux qui sont condamnés affrontent une machine incapable d’appliquer ce qu’elle décide. Cette incohérence affaiblit la démocratie. Elle nourrit le soupçon, la colère, parfois la haine.
La surpopulation carcérale n’est pas un phénomène météorologique. C’est le fruit de choix politiques, d’un refus de repenser le système pénal, d’une incapacité à concilier fermeté et efficacité. Ce que révèle cette crise, c’est le manque de courage de ceux qui prétendent gouverner sans jamais affronter l’impopularité.
Car il faudrait ouvrir d’autres débats : celui de l’aménagement des peines, des alternatives à l’enfermement, du sens que l’on veut donner à la sanction. Ce n’est pas être laxiste que de vouloir une justice exécutable. C’est être responsable. Et c’est sans doute cela qui manque le plus aujourd’hui.