Il suffit parfois d’un visage pour saisir toute l’ampleur d’un phénomène. Un visage tuméfié, marqué par les coups. Un visage qui dérange, parce qu’il rend visible ce que l’on préfère souvent ignorer : une société dans laquelle la violence ne choque plus, ou si peu. En 2024, une personne âgée de plus de 15 ans a été victime de coups et blessures volontaires toutes les 93 secondes. Ce chiffre glaçant ne représente pourtant que la partie émergée d’un iceberg silencieux. Car combien de victimes n’ont jamais porté plainte, par peur, par découragement, ou par habitude ?
Un visage devenu champ de bataille
Ce visage, devenu champ de bataille, n’est pas un cas isolé. Il est le reflet d’une réalité plus large, plus sourde, plus perverse : celle d’une société dans laquelle l’agression physique a cessé d’être l’exception pour devenir, dans certaines zones, une forme d’expression ordinaire.
La violence n’est plus seulement un acte, elle est devenue un langage. Elle s’invite dans les cours d’école, les transports publics, les espaces familiaux, les rapports de voisinage. Elle est réaction, impulsion, réponse immédiate à la frustration, au conflit ou à la moindre contrariété.
Et face à cela, les réponses restent insuffisantes. Trop techniques, trop cloisonnées, trop éloignées de la complexité du terrain.
Des chiffres officiels aux réalités invisibles
Les données disponibles sont déjà alarmantes, mais elles masquent une violence encore plus sourde. Une violence qui ne se quantifie pas. Celle des regards menaçants, des humiliations quotidiennes, des violences conjugales sans plainte, des agressions entre jeunes passées sous silence.
Ce que disent ces visages meurtris, c’est aussi ce que les statistiques ne disent pas : la peur intériorisée, la banalisation de l’agression, la perte de confiance dans les institutions censées protéger.
Un problème qui dépasse la police et la justice
Réduire l’insécurité à une simple question d’ordre public serait une erreur stratégique. La violence n’est pas uniquement un problème de sécurité intérieure ou de fonctionnement judiciaire. Elle s’enracine plus profondément. Elle est sociale, éducative, économique, territoriale.
On ne traite pas durablement la violence par la seule présence policière ou par l’empilement de lois. On la traite aussi par l’école, le logement, la santé mentale, la cohésion des territoires. Par une politique de long terme qui regarde en face les causes sans se contenter de gérer les symptômes.
Refuser les clivages, reconstruire le commun
La lutte contre l’insécurité ne devrait pas diviser. Elle ne devrait pas être récupérée, instrumentalisée, réduite à une ligne partisane. Car elle touche chacun, sans distinction. Parce que demain, ce visage meurtri pourrait être celui de n’importe qui : un proche, un voisin, un enfant, soi-même.
Il est temps d’agir avec méthode, fermeté, bienveillance. Mais surtout avec lucidité. Il est temps de sortir des réponses réflexes, de remettre du sens, de restaurer la promesse républicaine de protection pour tous. Non pas au nom de la peur, mais au nom du respect, de la dignité et de la justice.