Le 30 janvier 1972 marque une journée sombre pour l’Irlande du Nord. Ce jour-là, une manifestation pacifique s’est soldée par la mort de 13 civils sous les balles de soldats britanniques. Voici un retour sur cet événement tragique qui a marqué l’histoire.
Dans la ville de Derry, située en Irlande du Nord, une marche pacifique est organisée par la NICRA (Northern Ireland Civil Rights Association) pour défendre les droits des catholiques, minorité discriminée au sein de cette province du Royaume-Uni.
La marche, initialement prévue pour parcourir le quartier de Bogside et s’achever sur Guildhall Square, est interdite par le gouvernement nord-irlandais. Malgré cela, les manifestants se rassemblent en début d’après-midi et entament leur défilé dans les rues, sous une surveillance militaire et policière accrue.
Une île politiquement divisée
Depuis 1921, date de l’indépendance partielle de l’Irlande après un conflit avec le Royaume-Uni, l’île est le théâtre de profondes divisions. Ces tensions s’aggravent dans les années 60, notamment autour de la question de la présence britannique en Irlande du Nord.
D’un côté, les républicains, majoritairement catholiques, militent pour une Irlande unifiée et indépendante. De l’autre, les loyalistes, principalement protestants, soutiennent l’appartenance de l’Irlande du Nord au Royaume-Uni. La ville de Derry illustre à elle seule ce clivage : pour les protestants, elle est appelée Londonderry, tandis que les catholiques la nomment simplement Derry.
Dans ce contexte, les catholiques du nord dénoncent des discriminations systématiques, notamment en matière de droits civiques, d’accès au logement ou encore de participation politique. Ces revendications engendrent de nombreuses manifestations non violentes, souvent réprimées par les autorités locales.
Une réponse militarisée
Pour encadrer la marche de Derry, les autorités mobilisent des parachutistes britanniques ainsi que des policiers de la RUC (Royal Ulster Constabulary), force majoritairement protestante. La manifestation rassemble environ 10 000 participants lorsqu’elle atteint William Street, où elle est redirigée par des barricades militaires.
Un groupe de jeunes manifestants tente de franchir ces obstacles pour atteindre Guildhall Square, comme prévu initialement. Les échauffourées commencent : jets de pierres et projectiles d’un côté, riposte des forces de l’ordre avec des balles en caoutchouc, gaz lacrymogènes et canons à eau. La situation dégénère rapidement. Les soldats reçoivent l’ordre de poursuivre les manifestants dans les rues du quartier de Bogside, où des tirs à balles réelles éclatent. L’armée tirera plus de 100 projectiles.
Une tragédie et des controverses
Le bilan est accablant : 13 manifestants sont tués, dont six adolescents de 17 ans. La plupart des victimes ont été atteintes dans le dos alors qu’elles fuyaient. Une 14e personne succombera à ses blessures quelques mois plus tard. En outre, 16 autres participants sont blessés.
Pour Bernadette Devlin, députée présente ce jour-là, il s’agit d’un véritable « massacre collectif » orchestré par l’armée britannique. Des témoins affirment que les soldats ont ouvert le feu de manière arbitraire sur une foule qui ne présentait aucune menace.
En 1972, une enquête conclut que les militaires avaient réagi à des tirs de manifestants armés, qualifiant ces derniers de « terroristes » liés à l’IRA. Ce n’est qu’en 2010, après une enquête approfondie de 12 ans, que la vérité éclate : les soldats ont tiré les premiers, sans justification. Le Premier ministre britannique de l’époque, David Cameron, reconnaît alors que l’action des forces armées était « injustifiable ».
Un impact durable
Bloody Sunday a exacerbé les tensions en Irlande du Nord, plongeant la région dans un conflit qui durera encore trois décennies. Dix ans après ce drame, le groupe U2 rend hommage aux victimes avec leur chanson « Sunday Bloody Sunday », un titre qui résonnera dans le monde entier.