Interview réalisée en 2021

Thierry Orosco est aujourd’hui président de la société Obvious Technologies, mais le chef d’entreprise a eu une autre vie pendant 28 ans au sein de la gendarmerie nationale, dont 14 années au GIGN. Le lieutenant Orosco a gravi une à une les marches de cette prestigieuse unité pour finir par en prendre le commandement en qualité de général. L’ex-commandant du GIGN a échangé depuis 7 ans maintenant son uniforme pour un costume qui le pousse aujourd’hui sur d’autres terrains d’opérations.

Vous êtes président d’Obvious Technologies depuis près de 3 ans, mais dans une autre vie pas si lointaine, vous avez étiez Général au sein de la gendarmerie nationale, et notamment commandant du GIGN. De quelle manière s’est effectué votre « passage » entre le monde militaire et le monde civil ?

Cela fait maintenant presque 7 ans que j’ai quitté le monde militaire et mon objectif était de continuer à prendre du plaisir dans mon quotidien. J’ai pris énormément de plaisir à commander le GIGN et j’ai vécu quelque chose de fantastique. Ma crainte en quittant la gendarmerie était que je sois dans l’impossibilité professionnellement parlant de retrouver les mêmes sensations.

Il y a 3 mots qui m’ont guidé : l’envie, la curiosité et l’humilité. L’envie, c’était pour moi de me conditionner afin de relever un défi en pénétrant dans un monde, celui de l’entreprise, que je ne connaissais pas vraiment. La curiosité a été pour moi de découvrir le monde de l’entreprise de l’intérieur avec tous les challenges qu’une telle démarche pouvait représenter. J’ai découvert les modèles économiques, les modèles comptables, le marketing et tout ce qui permet à l’entreprise d’exister et de rayonner. Enfin, l’humilité m’a accompagné durant toute ma carrière et continue de m’accompagner, car j’aime apprendre et j’apprends tous les jours.

Dans les faits, mon passage du monde militaire au monde de l’entreprise a été bien moins difficile que je ne pouvais l’imaginer et dans tous les cas extrêmement enrichissant.

Quelles sont les similarités que vous pouvez identifier entre le management d’un groupe tel que le GIGN et le management au sein d’une société privée ?

Depuis 2017, j’ai rejoint une entreprise à taille humaine, une start-up où les similitudes sont nombreuses avec le Groupe que j’ai eu le privilège de commander. Le dénominateur commun ce sont les femmes et les hommes. Les membres du GIGN adhèrent totalement à ces quatre lettres et ils ont le sentiment d’appartenir, de faire partie d’une famille, d’être les héritiers d’une unité où les anciens ont écrit des pages d’histoire. À charge pour eux d’écrire leurs propres pages.

Dans une petite entreprise comme celle que je préside aujourd’hui l’esprit et l’adhésion sont comparables à ceux que j’ai connus au GIGN. En l’espèce, il s’agit d’adhérer à un projet industriel. Et j’ai découvert un monde où la collaboration et le travail en équipe étaient essentiels et notamment au sein des équipes de développeurs.

Il y a aussi beaucoup de différences, mais l’humain reste au cœur du dispositif et il constitue le ciment du projet dans sa globalité. 

Prenez-vous autant de plaisir à présider une société privée que vous avez pu en prendre à commander le GIGN, et cela même si les 2 fonctions sont éloignées ? La vibration est-elle comparable ?

Il y a des vibrations de chaque côté, mais qui ne sont pas comparables. Le point commun à ces vibrations vient de la création et de cette envie de toujours avancer.

Les doutes sont présents dans un monde comme dans l’autre. Dans les 2 univers, il est nécessaire de se serrer les coudes et de faire du collectif un véritable pilier, surtout lorsque l’on traverse des tempêtes.

Un autre point commun est celui de l’incertitude du lendemain. D’un côté, nous ne savons pas quelles seront nos prochaines opérations et du côté de la start-up nous sommes dans l’incertitude du lendemain. Dans les 2 cas, l’objectif est de limiter au maximum les risques. Le plus important pour moi est d’être acteur de son destin et de pouvoir changer de direction si cela est nécessaire.

Vous avez écrit aux côtés de l’ancien patron du RAID, Jean-Michel Fauvergue, un livre qui s’intitule « RAID – GIGN – deux patrons face aux nouvelles menaces », publié en 2020 aux éditions Mareuil. Quelles sont aujourd’hui les menaces sécuritaires qui sont selon vous sont les plus préoccupantes ?

Vu de ma fenêtre et avec les informations dont je dispose en lisant la presse, mes préoccupations sont de deux ordres.

Il y a d’une part le terrorisme exogène qui pourrait prendre forme et toucher de nouveau la France si les différents groupuscules terroristes venaient à être en capacité de conquérir de nouveaux territoires, comme cela pourrait être le cas en Afghanistan, dans la zone Irako Syrienne ou au Sahel par exemple. La territorialisation d’une zone permettrait aux groupuscules terroristes de fomenter des attaques complexes sur notre sol. Concernant les modus operandi mis en œuvre, je pense qu’il pourrait y avoir des manœuvres de diversion et de désorganisation avec notamment de grandes attaques cyber qui auraient pour objectif de créer des diversions et permettre ainsi d’affaiblir la réponse immédiate de l’État.

D’autre part, il y a une menace intérieure. Il s’agit là aussi d’une question de territoire. La bunkérisation de certains territoires par des délinquants en tous genres est préoccupante, car elle rend extrêmement complexe et difficile le travail des forces de l’ordre.

Un pays comme la France dispose de tous les outils pour faire face à ce type de situation. Le point d’attention est qu’il y a toujours un temps de latence entre la matérialisation d’une menace et la réponse apportée par l’État. Le bouclier s’adapte à l’évolution du glaive…

Pourriez-vous me parler d’Obvious Technologies, et notamment d’OODA ?

C’est une petite entreprise que l’on a créée à trois associés en 2019. Le projet industriel que nous portons est plus mûr, car lorsque nous avons créé l’entreprise OBVIOUS, il avait été initié 3 ans plus tôt. OODA est un outil technologique d’aide à la décision et à la gestion des incidents. C’est à la fois une solution pour les centres de commandement et un outil d’aide tactique aux équipes déployées sur le terrain.  

Le champ des possibles avec les technologies numériques est aujourd’hui très important en matière de sécurité et de défense. OODA est un outil complexe sur le plan technologique et simple dans son utilisation, nul besoin d’être ingénieur informatique pour le mettre en œuvre. Dans les faits, OODA c’est plus d’efficacité et moins d’effort.

Sur un plan tactique est-il encore possible de se passer de ce type de système d’hypervision couplée à de l’IA ? Comme vous le mentionnez dans vos communications, « il peut se passer énormément de choses en 1 minute ».

Vous trouverez toujours quelqu’un qui vous dira qu’il est possible de se passer des avancées technologiques. Les menaces actuelles exigent de la rapidité et de l’efficacité dans la mise en œuvre des mesures qui suivent la prise de connaissance d’un incident. La rapidité et l’efficacité sont de véritables clefs de voûte de tout schéma de sécurité et de défense. OODA permet d’analyser une situation donnée et ainsi donner la possibilité au centre de commandement de comprendre l’étendue de la problématique et de coordonner les actions sur le terrain, en permettant aux opérateurs déployés de comprendre eux aussi le schéma tactique qui aura été décidé au niveau supérieur.

À quelle échelle a été déployé OODA aujourd’hui ?

Notre technologie est déployée dans les pays du Moyen-Orient et notamment au Qatar, pays dans lequel nous équipons les stades pour la future Coupe du monde de football en 2022. Nous avons également une filiale à Dubaï, pays dans lequel notre technologie est déployée pour sécuriser l’exposition universelle qui a lieu actuellement.

Parallèlement, nous continuons nos efforts afin de pénétrer le marché français, mais le circuit de décision d’achat est un peu plus long qu’au Moyen-Orient. Nous déployons actuellement notre système dans une grande ville en France et sommes en discussion avec d’autres.

Dans un climat qui est instable sur un plan sécuritaire, quels sont selon votre expertise les principaux défis à venir pour les États et les sociétés civiles ? 

Je pense qu’il y a un vrai défi, à la fois étatique et sociétal, qui consiste à trouver un juste équilibre entre l’efficacité indéniable pour le monde de la sécurité qu’apportent les technologies du numérique et l’indispensable protection des libertés individuelles. L’approche qui consisterait à privilégier l’une ou l’autre serait à ne pas en douter une erreur gravissime.

Le deuxième défi important qu’auront à relever l’État et la société sera de protéger l’ensemble des données afin qu’elles ne puissent être détournées par des intervenants extérieurs mal intentionnés ou par des intérêts purement mercantiles.

« RAID-GIGN – deux patrons face aux nouvelles menaces » Jean-Michel Fauvergue et Thierry Orosco Editions Mareuil